« Instants de stars » ou l’histoire de deux passions : le cinéma et la photographie. En 1985, je vais au Festival de Cannes pour la première fois munie d’un bout de papier sur lequel Pierre Miquel (mon professeur à la Sorbonne) a griffonné le nom de Louisette Fargette, responsable du service de presse du Festival. Je découvre les pass journaliers, les gommettes de couleur et les séances très tardives. Je me faufile dans les conférences de presse, croise les stars « en vrai » sur la Croisette, voit les équipes de films dans les salles… Le rêve éveillé d’une cinéphile qui, à l’exception de 2020, vient réaliser des portraits des plus grandes stars internationales.
Les textes sont une manière de créer du lien entre mes portraits et le cinéma, de rapprocher encore mon travail du public. Ecrire, c’est revisiter leurs films, se rappeler la rencontre d’une fraction de seconde et la partager avec ceux qui ne les voient habituellement que sur des écrans.
Sa venue est annoncée à l’occasion du 40e anniversaire du Festival mais aucun paparazzi n’a encore découvert sa cachette. Depuis 1983, le Festival a investi un nouveau Palais, signé des architectes Bennett et Druet. Ses larges murs aveugles et bruts en ont très vite fait un « bunker » aux yeux de ses détracteurs. En tout cas un lieu idéal pour dissimuler mon beau play-boy.
J’arpente les nouveaux lieux avec quelques fous furieux de mon espèce ! Escaliers quatre à quatre dans tous les sens, ascenseurs de bas en haut et de haut en bas : des gardiens « oreilletés » à
© Catherine Vinay (1987)
toutes les portes ! La salle de la conférence de presse reste introuvable. Au terme d’une ultime ascension, je me retrouve à l’air libre, carrément sur le toit. Quelques pas hésitants sur le bord de la terrasse. Je fais une ultime et un peu froide recommandation à mes rares compagnons d’aventure : « Ne poussez pas ! » Il ne s’agit pas d’une cascade de cinéma et il n’y a encore aucune protection.
Je découvre en contrebas Paul Newman et son épouse, Joanne Woodward, qui posent devant les photographes. Photo volée au sommet du Palais où je n’ai jamais pu remonter depuis.
© Catherine Vinay
Oiseau traqué aux plumes clairsemées. Petit animal apeuré, pris au piège de mon objectif.
Habituée de Cannes, elle vient défendre un film d’époque (1914), tout en romanesque amoureux : « Les destinées sentimentales » d’Olivier Assayas. Elle est Pauline, 20 ans, et son amour pour Jean, pasteur marié et père de famille, interprété par Charles Berling, est plus fort que tout.
Emmanuelle Béart, récompensée et honorée, est toujours jugée, trop belle, trop franche, trop engagée… Ambassadrice UNICEF, elle met en lumière les plus faibles, les plus démunis et notamment les enfants qui, aux quatre coins de la planète, n’ont plus ni sourires ni larmes à offrir.
Attention fragile.
© Catherine Vinay (1985)
L’une de mes toutes premières photos grâce à Jacques Rigaud. J’ai la chance d’être invitée au studio RTL, sur la terrasse du Carlton au 1erétage !
L’une de mes toutes premières photos grâce à Jacques Rigaud. J’ai la chance d’être invitée au studio RTL, sur la terrasse du Carlton au 1erétage !
Moquette vieux rose, tapisserie moirée, sonnerie discrète. Petit boudoir de style, accueil feutré. Je jette un coup d’œil à la masse compacte qui, en bas, attend (quoi ? interrogent les non-initiés et dire que j’étais de leur côté quelques minutes plus tôt). Je me détourne pour ne pas perdre une minute du privilège qui m’est accordé.
Avant de prendre l’antenne, Philippe Labro et Remo Forlani, font la critique des… petits fours Delacre ! Puis Forlani éreinte « Détective » de Jean-Luc Godard mais s’enflamme pour « Birdy » d’Alan Parker et « La Rose pourpre du Caire » de Woody Allen. Quelques jours plus tard, ces deux films recevront respectivement Le Grand Prix Spécial du Jury et le Prix de la Critique Internationale !
Arrive Jean Poiret à l’élégance toute estivale, venu défendre « Poulet au vinaigre » de Claude Chabrol puis André Téchiné, réalisateur de « Rendez-vous » : il est accompagné d’une comédienne à laquelle il vient d’offrir son premier grand rôle, Juliette Binoche.
Vêtu d’un T-shirt tout droit sorti d’un album du « Génie des Alpages », apparaît le Président du jury en personne, Milos Forman.
Je suis éblouie.
© Catherine Vinay (2006)
Belle, tellement belle. D’une beauté inaccessible. Chaque année, parmi les membres du jury, l’un d’eux est un défi : cette année, c’est Monica Bellucci.
Dès la soirée d’ouverture, la « chasse » est ouverte et tous les photographes qui n’ont pas le Pass super top pro s’agitent dans tous les sens. Je reste fidèle à une porte sans importance, sur le côté d’un palace, qui m’a parfois récompensée par des sorties « intéressantes ». Le cortège de voitures alignées au bord du trottoir et les motards pimpants, tous chromes dehors, me confortent. Soudain, le jury au grand complet sort et chacun est dirigé vers sa voiture. Tous, sauf elle !
Effervescence, agitation : on a perdu la plus belle ; le cortège ne peut pas s’ébranler ; on dit que Gilles Jacob s’impatiente en haut des marches… Dans ces moments-là, il faut savoir profiter de l’émotion générale : les « oreillettes » oublient de parler à voix basse, les talkies restent ouverts, les contre-ordres fusent… Je me méfie d’une intox destinée à masquer un démarrage en trombe. Je remonte la file de voitures par la droite, la descends par la gauche, le nez bien indiscret un peu aplati contre les vitres fumées. « Elle » n’est pas dans les voitures.
Je laisse traîner mes yeux et mes oreilles partout à la recherche d’un geste, du signe d’un chauffeur, d’un officier de sécurité. Soudain je capte l’info, je me précipite à la fameuse petite porte, bravant toutes les distances respectueuses. Elle sort, visiblement contrariée. Je la suis jusqu’à sa voiture.
Je suis tout près d’elle. Bonheur.
©Catherine Vinay (2003)
En 2000, son « Tableau noir » avait crevé l’écran de Cannes. Un lourd tableau, posé sur les épaules d’instituteurs obstinés, qui devait aller d’un village à un autre, sur les routes rocailleuses, improbables et dangereuses du Kurdistan iranien, à la frontière irakienne, comme une évidence, porteur de savoir et de connaissance. Samira Makhmalbaf remporte le Prix du Jury : elle a 20 ans.
Quand je prends cette photo en 2003, j’ai vu « Panj é Asr » (« A cinq heures de l’après-midi »). Je suis très émue de croiser dans la rue, dans la vraie vie, celle qui est l’une des premières à nous montrer ce qui se passe en Afghanistan, à Kaboul, après la chute du régime des Talibans : ces femmes toujours « engrillagées » dans leurs burqas, emprisonnées dans leurs traditions mais éprises de liberté. Samira explore tous ces contraires.
Son voile noir dévoile un visage lumineux, des yeux d’une limpidité profonde. Sur elle, le noir n’est pas la couleur du deuil mais une élégance, une dignité, un sens. Elle porte un regard intense, volontaire, libérateur sur cette région du monde.
©Catherine Vinay (2003)
« Est-il possible d’aimer à la fois Mao-Tsé-Toung et les antiquaires ? ». Telle était la question que posaient les Cahiers du cinéma, dans le numéro « Nouvelle Vague » de décembre 1962, à propos d’Agnès Varda.
Son premier film en compétition à Cannes, en 1958, est un court-métrage intitulé « O saisons, ô châteaux ». Depuis, j’imagine que cette cinéphile discrète se glisse dans différentes salles pendant le Festival et découvre de nombreux films dont certains ne trouveront jamais d’écran.
Il y a quelques années, alors qu’elle marchait sur le terre-plein central engazonné de la Croisette, je lui avais demandé la permission de la photographier. Ayant obtenu son autorisation, je m’étais mise à courir à reculons, face à elle. Elle m’avait laissé faire puis s’était arrêtée pour m’interroger : « Mais pourquoi vous courez ? ».
Je m’étais arrêtée et je l’avais photographiée.
Cette année, elle m’a reconnue.